vendredi 18 mars 2011

Amphithéâtre de Québec — Le colisée sera-t-il un mirage?

http://ruefrontenac.com/spectacles/industrie/34940-colisee-pkp-labeaume-quebecor

Spectacles - Industrie culturelle
Écrit par Philippe Rezzonico   
Vendredi, 18 mars 2011 00:06
Mise à jour le Vendredi, 18 mars 2011 00:16
La mise en chantier du nouvel amphithéâtre de Québec, financé avec quelque 365 millions de dollars de fonds publics, s’amorcera sans la certitude que les Nordiques seront de retour dans la Ligue nationale. Dans ce contexte, les revenus générés par le volet spectacles du futur Colisée Quebecor s’avéreront d’autant plus cruciaux. Les artistes internationaux seront-ils au rendez-vous ? Pour reprendre une expression chère au hockey, il y a loin de la coupe aux lèvres.
Lorsque le maire de Québec, Régis Labeaume, a annoncé le 1er mars que Quebecor devenait le gestionnaire de la bâtisse en devenir, le président et chef de la direction, Pierre Karl Péladeau, a déclaré : « Dès 2015, les citoyens de la grande région de Québec n’auront plus à faire deux heures de route pour aller voir leur groupe préféré à Montréal. Notre objectif est de renverser le trafic. »
Un tel enthousiasme était légitime, sauf que si le passé est garant de l’avenir, il n’est pas dit qu’un colisée ultramoderne pourra gommer toutes les embûches. Un nouvel aréna a beau exercer un effet d’attraction réel, le faible bassin de population, la compétitivité provenant d’autres marchés et la gratuité sont autant de facteurs qui jouent contre Québec.
S’il est vrai que l’actuel Colisée Pepsi affiche son âge, les Remparts de Québec y résident néanmoins en permanence, le tournoi international Pee-wee fait salle comble tous les ans, le Cirque du Soleil et les productions de Disney y font escale régulièrement, et on y présente une foule de salons (de l’auto, de la mariée, du camping, etc.). Vétuste, certes. Mais pas en décrépitude. Pourquoi donc si peu d’artistes internationaux s’y arrêtent ?
20 contre 1
Un coup d’œil sur les programmations comparées du Centre Bell et du Colisée Pepsi depuis 16 mois est révélateur (voir tableau). Depuis le 1er janvier 2010 et jusqu’au 30 avril 2011 - aucun spectacle ne s’ajoutera d’ici là – , le nombre d’artistes canadiens et internationaux ayant présenté un spectacle au Centre Bell plutôt qu’au Colisée Pepsi est hautement disproportionné.
Une poignée d’artistes ont fait escale dans les deux amphithéâtres, mais un total inférieur aux doigts d’une main s’est arrêté uniquement au Colisée. À l’autre bout de la 20, on compte près d’une cinquantaine d’artistes qui ont répondu présent. Et nous n’avons pas tenu compte dans notre calcul des artistes québécois (Marie-Mai, Marjo, Boom Desjardins), des spectacles de divertissement populaire (Cirque du Soleil, Disney, Best of Broadway) dont le volume favorise Montréal, ainsi que des galas de lutte et de ceux de boxe. L’écart aurait été encore plus marqué.
Peter Gabriel s'est arrêté à Montréal le temps de deux concerts mais pas à Québec l'année dernière. Photo d'archives
Qui plus est, certaines vedettes (Peter Gabriel, Roger Waters, Michael Bublé) ont offert des programmes doubles à Montréal. Avec sa troisième supplémentaire, le 4 mai, Bon Jovi aura joué cinq fois au Centre Bell lors de trois visites en moins de deux ans. Le fait qu’il n’y ait eu aucune escale à Québec est-il uniquement imputable au vieil aréna ? La tournée The Wall, par trop imposante, et celle de Lady Gaga, pour des raisons techniques, n’auraient pu être présentées au Colisée. Mais ce sont les exceptions, pas la règle.
Compétition inégale
On ne peut d’aucune façon imputer cette absence marquée d’artistes de réputation mondiale au Colisée par une forme d’ostracisme envers la ville de Québec. Au contraire, les artistes aiment Québec. Mais, ironie suprême, la principale compétition du nouveau Colisée ne viendra pas de Montréal, mais de sa – grande – cour arrière.
Ces dernières années, le Festival international d’été de Québec a en effet joué à fond la carte des grands noms de la pop-rock internationale (Sting, Kiss, ZZ Top) qui ont attiré des centaines de milliers d’amateurs sur les Plaines. Et le directeur général, Daniel Gélinas, a noté qu’il allait continuer dans cette voie malgré les critiques qui s’élèvent contre une forme d’anglicisation du festival tenu dans la plus vieille ville francophone d’Amérique.
Brian Setzer, sous les étoiles de Montréal. Photo d'archives
Si vous jetez un coup d’œil attentif au tableau, vous verrez que nombre d’artistes (Black Eyed Peas, Iron Maiden, Santana, Rammstein, Billy Talent) qui ont joué au Centre Bell en 2010 se sont produits au Festival d’été plutôt qu’au Colisée. Peu de groupes résistent à l’envie de jouer devant une marée humaine. Surtout si le cachet proposé est similaire à une somme garantie dans un aréna. Mais du point de vue de l’amateur, quand vient le temps de payer, c’est une autre histoire.
À Montréal, on voit parfois sous les étoiles un Stevie Wonder ou un Brian Setzer gratuitement au Festival international de jazz. Mais, en général, que ce soit pour un passage unique au parc Jean-Drapeau ou dans le cadre des festivals Osheaga ou Heavy Montréal, tous les shows sont payants. Notez que la plus grosse foule payante de l’histoire revient à Metallica (42 000 personnes en 2003).
Bon Jovi, Green Bay, Radiohead et Arcade Fire n’ont jamais franchi la barre des 35 000 spectateurs payants en extérieur à Montréal, un marché métropolitain cinq fois plus gros que celui de Québec.
Pourtant, il y avait plus de monde que ça pour voir Arcade Fire sur les Plaines l’été dernier, n’est-ce pas ? Dans les faits, on a habitué les gens de Québec et ceux des environs à voir de grands noms gratuitement. Tendance lourde à renverser, ça.
Le marché du spectacle en 2015
De plus, quand on analyse le naufrage accéléré de l’industrie du disque dans la seconde moitié des années 2000, peut-on être absolument certain de la vitalité de l’industrie du spectacle dans quatre ans ? Entendons-nous, il y aura toujours une offre « spectacles ». Mais il ne faut pas compter sur des valeurs sûres comme les Rolling Stones, Iron Maiden, Mötley Crüe et Judas Priest pour remplir le Colisée de 2015 à 2030.
Et la fragmentation du marché du disque des années 2000 a eu un effet direct sur la popularité des créateurs. Au moment où vous lisez ces lignes, tenter de nommer vingt groupes ou artistes issus du nouveau siècle pouvant remplir un aréna de 20 000 personnes demeure un exercice ardu.
Mais la question mérite d’être posée. Comme celle de savoir si un Colisée payé à même les deniers publics peut être autre chose qu’un éléphant blanc s’il n’abrite pas une équipe professionnelle de hockey.