mardi 15 mars 2011

Ken Dryden : la fin de l'Homme primitif

http://www.fanatique.ca/lnh/ken-dryden-la-fin-de-lhomme-primitif+8195.html

Cet article fait suite à celui de Ken Dryden, intitulé ''Arrêtons d'être stupides'' et publié dans La Presse en date du 12 mars 2011.
Les arguments de Ken Dryden, selon lesquels le hockey doit absolument évoluer de manière à prévenir les blessures graves, sont de béton. L'ex-gardien du CH, qui énonce nombre d'aspects du jeu propice à des dommages irréversibles au cerveau, (coups à la tête, plaquage excessif, réplique musclée, bagarres) réclame l'intervention immédiate de la Ligue, de manière à prévenir, désormais, ce type de débordement à l'origine, notamment, de la blessure de Max Pacioretty. Cessons d'être stupide, écrit-il, et rendons-nous à l'évidence. De grâce, évoluons !

Le problème, c'est que Dryden n'apporte rien de nouveau sous le soleil, alors que la solution, selon lui, repose essentiellement sur une modification du règlement, à l'image de ce que tout le monde réclame en ce moment. Mais contrairement à ce qu'il pense, cela ne règlera… rien, alors que nous sommes, dans les faits confrontés à une impasse : en effet, tant que le contact physique sera permis entre adversaires, il y aura débordement, puisque répliquer après coup demeure partie intégrante de la réalité humaine intrinsèque. (réflexe - de défense - stéréotypé) (1) . En effet, '' l'homme primitif '', quoiqu'en pense l'ex-athlète, survit virtuellement dans chaque individu, et ce n'est pas la simple mesure coercitive renforcée qui empêchera celui-ci de réagir face à un autre guerrier sur patin un peu trop porté sur la rudesse.

HURLING IRLANDAIS ET CROSSE AMÉRINDIENNE : À L'ORIGINE DU HOCKEY

En outre, et contrairement à ce qu'affirme Dryden, le débordement fut l'un des aspects principaux du jeu lors de sa création, alors que ce n'est pas le rugby qui fut à l'origine du jeu en 1875, mais bien la fusion de 2 sports parmi les plus robustes qui soient et ce au milieu du 19ème siècle : le hurling irlandais et la crosse amérindienne qui on le sait, ne font pas dans la dentelle en matière de contacts physiques. Créé et pratiqué par les ouvriers irlandais et mohawks lors de la construction du pont Victoria, le ''hockey primitif'' fut avant tout un ''réducteur de tensions'' ; en effet, il servait d'exutoire aux ouvriers de ces 2 communautés, en leur permettant de régler des différends qui autrement, auraient pu résulter non pas en simple bagarre, mais en homicide au sens propre du terme… un peu à l'image du Far-West de l'époque, dont le quartier Griffintown, ghetto irlandais attenant au premier pont de Montréal, était une sorte de microcosme urbain. Ce qui revient à dire que notre sport national, à ses débuts, ressemblait davantage, parfois, à un match de boxe collectif propre à Dodge City plutôt qu'à une discipline sportive au sens propre du terme… alors que certains belligérants, parfois armés, acceptaient de régler le tout avec leurs poings, entre… 2 lancers en direction du but adverse.

C'est d'ailleurs à quelques kilomètres à peine de Griffintown, à Verdun, là ou nombre de descendants des ouvriers irlandais élurent domicile au fil du temps, que le hockey prit un essor considérable plusieurs décennies plus tard. Et c'est à Verdun, sous la férule d'un entourage quasi exclusivement irlandais, que Maurice Richard peaufina non seulement ses talents de hockeyeur, mais également de pugiliste, ce qui fit de lui l'idole d'un ''peuple'' (irlandais celui-là) bien avant son embauche par le Canadien de Montréal. Ce qui explique pourquoi, nombre d'Irlandais littéralement enragés (et passablement éméchés, en cette journée de la Saint-Patrick) se joignirent à leurs concitoyens francophones un certain soir du 17 mars 1955, en signe d'appui à celui qu'ils considéraient – et qu'ils considèrent toujours - comme le plus digne représentant d'un sport créé par leur ''ancêtre'', une centaine d'années auparavant.

HOCKEY NORD-AMÉRICAIN OU... EUROPÉEN?

Mais bon, l'ère du Rocket est révolue, et d'autant celle de Griffintown, et revenons à nos moutons, c'est-à-dire en 2011. Comme l'affirme Dryden et la plupart des spécialistes en ce moment, le hockey doit absolument changer, alors que les athlètes sont davantage baraqués et plus rapides, ce qui augmente les risques de blessures – parfois très graves - pour ceux-ci. Mais comment remédier une fois pour toutes à cette réalité, sans pour autant amputer l'aspect du jeu à l'origine du débordement, c'est-à-dire le contact physique ?

En modifiant non pas exclusivement le règlement, mais également… la surface de jeu. Puisque le meilleur moyen de régler le problème de la ''violence'' au hockey, tout en conservant son aspect robuste, demeure de transformer la patinoire à l'image de celle du hockey européen. Plus d'espace, moins de contact physique et par conséquent, moins de débordement… Mais là encore, il nous faudra faire une croix sur une tradition vieille de plus de 150 ans. Sommes-nous réellement prêts à ''évoluer'' et transformer le jeu de hockey nord-américain en un calque de celui pratiqué en sol européen ? Il semble que oui, à en noter par notre réaction collective suite au débordement Chara-Pacioretty...

Mais peut-être pas tout à fait, alors que ce jeudi (prochain), en ce jour de la Saint-Patrick, nombre de nostalgiques, dont je suis, se réuniront autour d'une table, Guinness à la main, de manière à se remémorer le bon vieux temps.

Comme chaque année, il sera question de ce bon vieux pont, de la création de notre sport national, des algarades mémorables avec les Mohawks, devenus nos '' chums '' depuis ce temps, de l'émeute du Forum, et bien sûr des exploits du Rocket, dont les plus vieux nous rappelleront nombre de faits d'armes, athlète d'exception que nous qualifierons - à l'unisson - encore et toujours de plus grand joueur de tous les temps. Et puis, un de mes comparses, (c'est toujours le même) me demandera immanquablement, comme il le fait chaque fois depuis quelques années après quelques verres :
''Gordie, penses-tu vraiment qu'ils vont réussir à interdire les bagarres ? ''

Et ma réponse sera, comme chaque année : '' Ben oui, il faut bien évoluer, après tout, on n'a plus rien de l'homme des cavernes… ou enfin, presque… ''

Et puis, comme chaque année, je constaterai un certain désarroi sur son visage, avant qu'il ne se reprenne, en bon Irlandais qu'il est, et qu'il ne lance de sa voix de stentor, fruit de cordes vocales monstrueuses assurément héritées d'une quelconque époque primitive :

ANYWAY, GUYS, HAPPY ST-PADDY'S !
Gordon Sawyer