jeudi 4 août 2011

Le journalisme est un sport de contact (des fois)

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Le scrum est une mêlée. Ainsi, au rugby, il s’agit de la phase de jeu (merci, Wikipédia) qui sanctionne une faute mineure : les joueurs des deux équipes se disputent le ballon, dans une mêlée. En journalisme, le scrum est ce point de presse plus ou moins impromptu, où un intervenant (merci, langue de bois) se retrouve entouré de reporters qui lui posent des questions. Le scrum est pratique courante sur les collines parlementaires. Je n’ai pratiquement jamais fait de scrum de ma vie de journaliste, je n’en connais pas les usages, les codes. Et hier, je me suis retrouvé au scrum de Sam Hamad, ministre des Transports, en marge de sa visite du chantier de l’autoroute Ville-Marie, deux jours après la chute de cette poutre de 25 tonnes. Le jour de la publication d’une chronique s’intitulant La bullshit de Sam Hamad.

La vidéo, ci-haut, montre que ce scrum fut mouvementé. J’ai fait plus que ma part pour talonner M. Hamad, avec mes collègues Félix Séguin (TVA) et Yvan Côté (Radio-Canada), tout aussi en verve que moi. Ces séquences ont alimenté quelques conversations sur les médias sociaux, disons…

J’ai été parfois brutal avec le ministre et avec son attaché de presse, cette brutalité a déplu à certaines personnes, qui m’ont écrit, qui l’ont écrit sur Twitter, qui ont écrit à mes patrons. Je ne regrette rien : on ne parle pas ici d’un point de presse du coach du Canadien à propos d’une blessure à l’aine d’Andreï Markov ni de la fermeture d’une rue sur le Plateau pour permettre la libre-circulation des Bixis, on parle d’une poutre de 25 tonnes tombées sur une voie rapide. Et d’un ministre qui, depuis 48 heures, se cachait derrière une relationniste du ministère et sa sous-ministre. Puis, dans le scrum, le ministre a fait ce que font les ministres, souvent : il s’est mis à utiliser les questions comme tremplin pour sortir ses « lignes » de presse, sans vraiment répondre à ces questions. Ça m’a irrité.

D’où cette question sur ce que ça prend, au Québec, pour qu’un ministre démissionne. Si un ministre, en point de presse, en direct, répète des banalités pour soigner ses relations publiques, mon job c’est de faire dérailler sa cassette. D’où la question, vache à souhait. Si un ministre donne des réponses détaillées, informées et qui ne sentent pas les âneries apprises par coeur pour limiter les dommages politiques, je me tais et j’écoute. Mais si un ministre ne répond pas aux questions, en point de presse, s’il répète des lieux communs appris par coeur, c’est sûr que je vais lui envoyer des questions qui le décoiffent, si j’en ai l’occasion. Tant qu’à se taper des réponses qui endorment, on va poser des questions qui réveillent.

Et si l’attaché de presse aux abois tente de mettre un terme au point de presse parce que « son » ministre semble en difficulté, après quelques petites minutes, alors que nous n’avons clairement pas fini de poser nos questions, mon job est de protester, et de protester brutalement parce que mon job n’est pas d’être un rouage docile et soumis dans le plan de relations publiques du ministère. Mon job, c’est de dire à l’attaché de presse d’aller se faire cuire un oeuf.

Bref, à tous ceux qui n’ont pas aimé ma conduite, hier, dans ce point de presse, je dis ceci : nous ne sommes pas des sténographes, nous n’avons pas à avaler les mots d’un ministre comme s’il s’agissait de paroles d’Évangile. Ça implique, des fois, d’être brutal, d’interrompre et d’appeler un chat, un chat. Des fois, la politesse a ses limites.
Quant à la séquence où je repousse l’attaché de presse, sachez ceci : l’attaché de presse venait de faire la même chose à André Noël, ce qui n’est pas clair sur certaines images.

Le repousser n’était pas l’idée du siècle, j’en conviens, pas sûr que je le referais dans des circonstances plus paisibles, mais j’ai agi par réflexe, fâché de voir qu’un membre du cabinet de M. Hamad avait tenté de physiquement déplacer André pour l’empêcher de poser une question. Ça ne se fait pas : personne n’a forcé Sam Hamad à briguer l’investiture dans son comté de Québec, à se faire prendre en photo pour tapisser ledit comté de pancartes électorales sous la bannière libérale et à accepter un poste de ministre dans le gouvernement d’une grande province d’un pays du G8. Il a fait tout ça de son propre chef : qu’il assume tout ce qui vient avec la fonction de ministre. Ça inclut le désagrément de se faire brasser dans un scrum que personne ne l’a forcé à faire.

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Ceci étant dit, merci aux fêlés qui ont participé à cette bibitte du 21e siècle qu’est le hashtag Twitter, un hashtag inspiré des exploits de l’increvable Chuck Norris : #PatLagacéFacts. Vous m’avez bien fait rire en délirant sur mes pouvoirs supposément surnaturels. Je voudrais préciser que je ne suis pas le père de Darth Vader, que je mes pas ne causent pas les nids-de-poule de Montréal et que je ne suis pas venu au monde par césarienne « parce qu’il avait un couteau dans le ventre de sa mère »…